Sous les projecteurs

Euclid, place à la science !

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Euclid, place à la science !

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    Voici un mois environ qu’Euclid a entamé son périple dans l’espace. Depuis, l’équipe Ingénierie de Thales Alenia Space œuvre sans relâche à la phase cruciale de mise en service au Centre européen des opérations spatiales (ESOC - European Space Operations Centre), en réalisant les ultimes tests fonctionnels et les configurations qui n’étaient possibles qu’une fois le télescope en orbite. L’objectif est de s’assurer que tout fonctionne parfaitement avant de passer officiellement le relais aux scientifiques.

    Euclid - Thales Alenia Space

    © Thales Alenia Space \ Emmanuel Briot

    En marge de ces activités majeures, nous avons eu le plaisir de parler avec deux membres éminents du Consortium Euclid qui travaillent depuis plus d’une décennie sur ce projet, nommément le professeur Andrea Cimatti, qui enseigne à l’Université de Bologne et en dirige le département Physique & Astronomie depuis 2021, et le Dr. Micher Berthé, responsable du projet Euclid au CEA-Irfu (Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers). Tous deux nous livrent les défis qu’ils vont devoir surmonter pour mener à bien leurs recherches et analyses à partir des données transmises par le télescope.

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    Andrea Cimatti & Michel Berthè

    © Thales Alenia Space \ Andrea Cimatti \ Michel Berthè

    Depuis combien de temps travaillez-vous sur le projet Euclid ? Quel aspect scientifique de cette mission vous intéresse-t-il le plus ?

    Andrea : étant l’un des instigateurs d’Euclid, ma participation remonte à 2007, lorsque j’ai dirigé l’une des deux offres soumises à l’ESA en réponse à son appel à projets « Cosmic Vision 2015-2025 » dans la catégorie des missions de moyenne taille. La mission proposée s’appelait SPACE, et l’autre DUNE (avec A. Refregier comme responsable de recherche). Ces deux missions ont ensuite été fusionnées par l’ESA pour devenir Euclid. Donc, au total, cela fait 16 ans que je travaille sur ce projet. Je suis membre de l’équipe scientifique d’Euclid à l’ESA et membre du Comité de direction du Consortium Euclid, aux côtés de R. Scaramella de l’Institut italien d’Astrophysique (INAF). En parallèle, je coordonne également le Groupe de travail scientifique « Galaxy & AGN Evolution » en collaboration avec J. Brinchmann et E. Daddi.

    Mes principaux intérêts scientifiques se trouvent à l’interface entre la cosmologie et le processus de formation et d’évolution des galaxies. Je cherche en particulier à utiliser les galaxies comme sondes pour appliquer des contraintes aux paramètres cosmologiques et étudier les relations entre la matière lumineuse et la matière sombre. En dehors de mes fonctions officielles, je m’emploie activement à promouvoir Euclid à l’université pour susciter l’intérêt des étudiants, ainsi que celui du grand public par le biais d’événements, d’articles et d’ouvrages de vulgarisation.

    Michel : Au sein du Consortium Euclid, j’ai agi en tant que principal conseiller et coordinateur chargé de superviser les aspects techniques et le calendrier d’exécution de ses programmes. Je suis également chef de projet pour toutes les activités menées par le CEA dans le cadre d’Euclid, et tout particulièrement pour certains développements des instruments VIS (plan focal, électronique du PMCU) et NISP (cryomécanismes). Je participe donc à Euclid depuis 12 ans. En tant qu’ingénieur, je n’interviens pas directement dans le volet scientifique de la mission, mais je suis ravi de pouvoir contribuer à ce qui nous aidera peut-être à mieux comprendre les mystérieuses forces et énergies qui influent sur l’évolution de l’Univers.

    ESA - Euclid in space

    © ESA

    Pendant six ans, Euclid recueillera un volume de données colossal. L’humanité et la communauté scientifique sont-elles prêtes à traiter une telle quantité d’informations ? Comment vous y préparez-vous ? Pensez-vous qu’elles permettront de faire de premières découvertes scientifiques dès la première année suivant le lancement ?

    Michel : En effet, la mission Euclid s’apprête à collecter un volume de données sans précédent pour la science spatiale. Pendant plus de dix ans, le Consortium Euclid a organisé, conçu et développé le Segment sol scientifique (SGS - Science Ground Segment) chargé de réceptionner et traiter une telle masse d’informations. Le travail sera réparti entre huit Centres de données scientifiques (SDC - Science Data Centers) en Europe et aux états-Unis. Compte tenu de la nature substantielle et intriquée du traitement requis pour convertir des données brutes en informations interprétables dans un contexte cosmologique, une phase de planification et de validation avec des données simulées a été essentielle.

    Dans le cadre du Consortium Euclid, notre rôle implique non seulement de traiter ces données, mais également d’en communiquer les résultats à un large public, y compris sur des sujets techniquement complexes comme la théorie de la relativité générale d’Einstein. Même si nous espérons faire de premières découvertes significatives la première année, il est indispensable de respecter le programme de cartographie de la voûte céleste pendant les six ans de la mission pour atteindre nos objectifs scientifiques avec le niveau de précision attendu.

    Andrea : Euclid est une mission sans équivalent en termes de volume (de l’ordre du pétabyte) et de diversité des données (imagerie dans les spectres du visible et du proche infrarouge, et spectroscopie dans le proche infrarouge). Sur les quelque 10 milliards de sources observées, plus d’un milliard serviront à mesurer l’effet de cisaillement gravitationnel (« lensing »), et environ 30 millions à mesurer le décalage vers le rouge des galaxies (« redshift »). C’est pourquoi, en dehors du satellite, du télescope et des instruments de bord, le succès de la mission Euclid dépend étroitement du SGS, qui comprend le Centre des opérations scientifiques (SOC - Science Operations Centre) de l’ESA et le Segment sol scientifique du Consortium Euclid (EC SGS).

    De plus, une constellation de SDC nationaux permettra de traiter les données, de contrôler les instruments et de fournir les jeux de données obtenus par les télescopes terrestres pour compléter ceux d’Euclid. Les membres du consortium ont travaillé dur, et encore maintenant, pour élaborer des algorithmes et outils efficaces pour optimiser l’analyse des données et maximiser le bénéfice scientifique général. À cet égard, les données recueillies durant la première année de la mission seront cruciales pour exécuter les codes à partir de données réelles (après une décennie de données simulées), évaluer leur qualité effective, jauger les performances et obtenir les premiers résultats scientifiques. Cette phase sera essentielle pour continuer d’optimiser l’analyse du volume total de données et maximiser ainsi la précision finale des paramètres cosmologiques, ce qui est, rappelons-le, l’objectif ultime de cette mission. Après cette première année, des résultats majeurs seront également attendus dans le vaste domaine qu’est la science dite « legacy », notamment en ce qui concerne l’ère de la réionisation, la formation des galaxies et leur évolution.

    Quels sont, selon vous, les principaux défis de cette mission, et comment comptez-vous les relever ?

    Michel : Pour atteindre nos objectifs scientifiques, nous devons être capables de cartographier le ciel avec une infinie précision et maintenir des conditions d’observation extrêmement stables dans les six ans de la mission. Cela implique une grande stabilité du télescope et du satellite, notamment des températures, des alignements optiques et du pointage des instruments.

    Andrea : En cosmologie, l’un des principaux défis consiste en la maîtrise totale des effets systématiques, qui est indispensable pour obtenir des résultats de la plus haute précision et fiabilité. Il est bien connu que chaque sonde cosmologique est sujette à ses propres biais systématiques. Pendant le développement d’Euclid ces dix dernières années, des groupes d’analyse scientifique et de données sont parvenus à étudier l’ensemble de ces biais potentiels, et à déterminer comment les réduire au maximum et les maîtriser pour chacune de ces sondes. Rappelons ici que l’atout majeur d’Euclid réside dans le jeu de données qui servira à exploiter en même temps une variété de sondes (effets du cisaillement gravitationnel (lentillages faible et fort), distribution des galaxies (« galaxy clustering »), corrélations croisées avec le fond diffus cosmologique (CMB), etc.). C’est ce qui fait d’Euclid une « expérimentation » complète pour la cosmologie et la physique fondamentale. Ainsi, la combinaison de différentes sondes sera essentielle pour affiner la précision et la fiabilité finales des résultats. La qualité et la stabilité élevées des données d’observation spatiale seront également décisives ici, et leur corrélation avec les données d’observation terrestre, qui constitue en soi un autre défi, augmentera un peu plus encore l’impact des résultats dans plusieurs domaines de la cosmologie et de l’astrophysique. Mais rassurez-vous, le Consortium Euclid a eu le temps de se préparer à tous ces défis !

    Nous ne sommes qu’au début de notre immersion dans le monde fascinant d’Euclid, qui devrait aider la science à mieux comprendre le nôtre. Restez connectés car Andrea et Michel continueront de nous livrer quelques secrets de cette mission. La prochaine fois, ils nous en diront plus sur la collaboration entre industriels et scientifiques, et comment, ensemble, ils comptent bien révolutionner notre connaissance de l’Univers.