Sous les projecteurs

Rencontre avec Stéphanie Behar-Lafenêtre

Passionnée par les missions robotiques spatiales
Nos talents

Rencontre avec Stéphanie Behar-Lafenêtre

Passionnée par les missions robotiques spatiales

    Pourriez-vous nous expliquer votre parcours ?


    Ingénieure de formation, j’ai débuté ma carrière chez Thales Alenia Space en l’an 2000. J’ai tout d’abord commencé à travailler sur un projet de l’ESA, absolument passionnant, qui s’appelait GOCE. Il s’agissait du premier satellite de l’Agence Spatiale Européenne destiné à cartographier, avec un niveau de détails sans précédent, le champs gravitationnel de la Terre. J’ai participé à l’élaboration de l’instrument principal du satellite, un gradiomètre hyper sophistiqué.

    © Boris Wilensky / Human Value

    De projet en projet, j’ai acquis une expertise en ingénierie mécanique en particulier. J’ai travaillé sur des matériaux très spécifiques, pour des structures hyper stables : les structures en céramique ou les miroirs optiques que l’on trouve notamment dans les charges utiles de certains satellites d’observation de la Terre. J’ai ensuite occupé plusieurs postes managériaux dans le domaine de la R&D avant de devenir Coordinatrice du projet EROSS+ (European Robotic Orbital Support Services) en 2020.

    Pouvez-vous nous expliquer les grandes lignes du projet EROSS+ ?

    Après avoir coordonné le projet H2020 I3DS (Integrated 3D sensors), visant à développer une suite de capteurs et de senseurs destinés à des missions d’exploration spatiale, Thales Alenia Space a dirigé un autre projet, EROSS, dédié à l'On Orbit Servicing. Parmi les technologies nécessaires pour réaliser des opérations de maintenance en orbite, nous avons en effet besoin de développer des capteurs et senseurs, des bras robotiques et pinces de capture permettant d’interagir avec notre cible en orbite, les interfaces d’amarrage et de remplissage en carburant… Nous devons par ailleurs développer le système de Guidage, Navigation et Contrôle permettant à nos engins spatiaux de se rapprocher du satellite ciblé en toute maîtrise.

    En janvier 2021, avec EROSS+, Thales Alenia Space et ses partenaires se sont vu attribuer par la Commission européenne un projet de préparation (phase A/B1) pour une démonstration en orbite dédiée à l’On-Orbit Servicing.

    Dans la continuité du projet EROSS, EROSS+ vise à développer une solution européenne dédiée aux futurs Services en Orbite. Ces engins spatiaux seront chargés d’effectuer un large éventail d’opérations en orbite, parmi lesquelles la désorbitation de satellites en fin de vie, la manipulation robotique, l’extension de la vie opérationnelle d’un satellite, le ravitaillement en carburant, l’inspection, etc. Le projet a débuté en février pour une durée de 24 mois. L’objectif consiste à concevoir un démonstrateur, tout en faisant progresser en parallèle les principales briques de base technologiques.

    Le déroulement type de cette mission de démonstration comprend la phase complète de rendez-vous en orbite d’un satellite « Servicer » avec un satellite « Client » collaboratif prêt à être assisté, puis de leur solidarisation en vue des interventions techniques. L’idée générale consiste à valider l’aptitude à effectuer des opérations en orbite de ce type pour les futures missions. Nous avons pour objectif d’avoir une démonstration en vol en 2026 afin de valider toutes les technologies nécessaires à l’On Orbit Servicing.

    Quel est le champ des possibles de ce type de véhicules ?

    Chez Thales Alenia Space, en capitalisant sur notre expertise en matière d’exploration spatiale, de robotique et d’infrastructures orbitales, nous voulons clairement nous positionner comme un leader du marché de l’On Orbit Servicing. Les 3 projets H2020, I3DS, EROSS et EROSS+, que nous avons coordonné avec l’ensemble de nos partenaires, nous offrent à présent une vraie légitimité pour adresser ce nouveau marché.

    Comme vous le savez, le lancement d’un satellite en orbite a un coût significatif. Un satellite en orbite géostationnaire (à 36 000 km de la Terre, fixe par rapport au sol) est conçu pour une durée de vie opérationnelle de 15 ans. Si un incident technique devait se produire en orbite, nous ne pourrions assurer de service après-vente. Il serait impossible d'envoyer un(e) astronaute effectuer une réparation à cette altitude. Pour commencer, le coût serait exorbitant. D’autre part, il faudrait probablement des dizaines d’astronautes comme Thomas Pesquet ou Samantha Cristoforetti pour effectuer des missions robotisées afin de prolonger la vie des satellites ou les réparer comme cela se fait sur l'ISS.

    L’On Orbit Servicing offre la solution idéale pour adresser ce type de missions. Comme je vous le disais, grâce ces engins spatiaux, dotés de diverses capacités robotiques (bras, pinces de capture, outils etc…), nous pouvons offrir un grand nombre d’applications. Tout d’abord, un véhicule « Servicer » pourra inspecter l’environnement du satellite dit Client, puis effectuer une mission de rendez-vous avec l’engin spatial identifié, afin d’effectuer les opérations de maintenance nécessaires. On peut comparer un « Servicer » à un compagnon robotique qui va venir en aide aux satellites en difficulté ou pour lesquels une action de maintenance a été anticipée. Le champ des possibles est vaste : de la désorbitation de satellites en fin de vie à l’extension de la vie opérationnelle d’un satellite, en passant par de l’inspection, des missions robotiques de rendez-vous ou de la maintenance.

    Prenez les débris spatiaux par exemple. Il y aurait, au-dessus de notre tête environ 5400 satellites. 40% d’entre eux sont opérationnels, 60% sont des débris spatiaux. Le nombre de satellites en orbite a doublé ces 3 dernières années. Plus de 10 000 satellites devraient être lancés dans les 10 années à venir. On compte 34000 objets, de plus de 10 centimètres, qui sont de véritables débris spatiaux. Les chiffres deviennent exponentiels si l’on commence à parler d’objets de plus d’1mm, qui eux se chiffrent par millions : 130 millions pour être exacte. Vous voyez, l’espace est infini. Il y a un marché suffisamment grand pour que plusieurs acteurs y trouvent leur place. A la fin d’une mission, un véhicule dédié à l’On Orbit Servicing va pouvoir soit rediriger le satellite vers une orbite cimetière, ce qui est le cas pour les satellites de télécommunications géostationnaires, soit lui permettre de se désintégrer lors d’une phase de rentrée atmosphérique, la solution qui va s’imposer dans les années à venir pour les satellites en orbite basse.

    Chez Thales Alenia Space, nous parions beaucoup sur l’extension de la vie opérationnelle des satellites. Les actions de ravitaillement en carburant et de maintenance permettront d’augmenter leur durée de vie. Dans un futur proche, on peut tout à fait envisager des lancements incluant un satellite de télécommunications géostationnaire par exemple, accompagné d’un Servicer sous la même coiffe du lanceur.

    Dans le domaine de l’exploration spatiale, il y aura des missions spatiales habitées à destination de la Lune dans un premier temps, et potentiellement au-delà. On parle beaucoup en ce moment de la mission Artemis de la NASA, visant à ramener des astronautes sur la Lune, laquelle servira d’avant-poste pour préparer des missions d’exploration à destination de l’espace lointain, avec Mars en ligne de mire. Des astronautes sur Mars, ce n’est plus de la science-fiction ! Cela commence concrètement à se matérialiser. Chez Thales Alenia Space, nos collègues turinois ont réalisé 50% du volume pressurisé de la station spatiale internationale. Nous avons capitalisé sur cette expertise pour concevoir 3 modules pressurisés destinés à la station spatiale cislunaire Gateway ainsi que 2 éléments clé d’Axiom, première station spatiale commerciale. Maître d’œuvre du programme ExoMars, qui vise à déceler des traces de vie sur la planète Mars, nous contribuons également au module de service européen du vaisseau spatial habité de la NASA, Orion, lequel est destiné à des missions d’exploration habitées de l’espace lointain. Vous voyez bien, qu’avec tous ces programmes d’exploration en cours, les véhicules dédiés à l’On Orbit Servicing, en particulier pour les missions robotiques d’amarrage et de rendez-vous, vont avoir un rôle majeur à jouer. Je suis donc très confiante quant à l’avenir de ce marché, qui est fortement prometteur tout en étant écoresponsable. Avec ces nouveaux véhicules, nous pourrons trouver une alternative concrète aux déchets produits par l’activité humaine dans l’espace. Nous visons une commercialisation à horizon 2028.

    Ce projet a reçu un financement au titre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne, sous l’accord de subvention n° 101004346.

    Illustrations: photo © Boris Wilensky / Human Value; logo ©EROSS+; Vues d'artiste et video ©Thales Alenia Space/Master Image Programmes